Par le Pr Régis Hankard

Excès de gourmandises ou à l’inverse régimes alimentaires « sains » promus par les stars, parfois un peu obsessionnels : nos pratiques culinaires et alimentaires ont pris une place prépondérante durant le confinement.

En perturbant nos émotions le confinement a entrouvert la porte aux troubles des conduites alimentaires.

Manger est aussi un acte moral. Ainsi, la période récente du Ramadan rappelle que le jeûne peut être vécu comme un acte expiatoire de ses péchés, pour « se laver » de comportements commis. Il peut procéder d’une démarche identitaire et permettre de se reconnaître entre coreligionnaires. Il participe aussi d’une autre façon d’envisager l’alimentation voire, son rapport aux autres. Cette pratique interroge souvent, notamment sur les impacts physiologiques qu’il peut avoir sur les individus. Quel est en effet l’effet du jeûne sur l’organisme ?


Nous avons besoin de glucose

Le fonctionnement de notre corps ne fait pas de « pauses ». Il lui faut un apport constant de « carburant », principalement du glucose. Un homme de poids moyen, soit 70 kg, consomme environ 180 g de glucides par jour dont 140 g par le cerveau. Ces glucides sont des assemblages de glucose et d’autres « sucres ». Ils se trouvent entre autres dans le pain, les féculents et représentent plus de 50 % de nos apports quotidiens en énergie (les « calories »).

Le jeûne s’accompagne d’une réponse adaptée de l’organisme, décrite dans un article célèbre et cité de tous les spécialistes.

En effet, certains organes comme le cerveau sont particulièrement sensibles à la privation de glucose. Un manque de glucose peut mener à une perte de connaissance et des convulsions peuvent survenir. Il est donc indispensable que le cerveau en dispose de façon constante. Pour maintenir un apport de glucose suffisant, notre comportement va se modifier avec une moindre activité, afin de limiter la consommation de glucose. Mais ce n’est pas la seule adaptation.

Nos « réserves » de glucose qui sont stockées sous forme de glycogène dans le foie vont être mobilisées. Cette réserve est faible. Aussi quand nous ne mangeons pas, du glucose est fabriqué à partir d’autres constituants de notre organisme, les protéines qui se trouvent dans les muscles. En d’autres termes, lorsque nous ne mangeons pas nous sommes obligés de puiser dans nos muscles pour fabriquer du glucose.


Pas de stock de protéines

Il n’y a pas de « stock » de protéines et si nous les perdons nous perdons des fonctions : la force physique mais aussi la faculté à fabriquer des anticorps qui nous protègent des infections. Les protéines que nous mangeons tous les jours, la viande, les laitages, les œufs, mais aussi les protéines des végétaux sont indispensables au bon fonctionnement de notre corps.

Le maintien d’une quantité suffisante de protéines est tellement critique pour notre santé que notre organisme a trouvé une parade. Lorsque le jeûne se prolonge au-delà de plusieurs jours, la mobilisation de notre tissu adipeux va produire des cétones qui sont un bon carburant pour le cerveau.

L’utilisation des cétones permet de limiter la production de glucose à partir des protéines qui sont « économisées ». Ce mécanisme, comme d’autres non détaillés ici, permet notre survie en situation de jeûne prolongé. L’odeur « acétonique » de l’haleine, cette « mauvaise haleine » est d’ailleurs un signe bien connu chez les petits enfants lors d’une gastro-entérite avec vomissements importants qui les privent d’alimentation.

Alors, peut-il y avoir un bénéfice pour la santé à jeûner ?

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Une pratique dangereuse dans certains cas

L’adaptation de l’organisme au jeûne est faite pour limiter l’impact négatif d’une privation alimentaire sur notre santé. Cette situation n’est donc pas « normale ». Certaines maladies compromettent cette adaptation.

Prenons l’exemple du diabète ou la régulation de l’utilisation du glucose par l’organisme ne fonctionne pas bien et nécessite des médicaments et/ou de l’insuline. Dans cette situation le jeûne majore le risque de survenue d’hypoglycémies dont les conséquences peuvent être graves. Les personnes atteintes de cette maladie savent bien que le risque lié aux « hypos »(pas assez de sucre dans le sang) est plus important que celui lié aux « hypers » (trop de sucre dans le sang).

Certaines maladies rendent aussi cette adaptation plus difficile à mettre en place. C’est le cas par exemple des personnes dont le poids est insuffisant, « dénutries », du fait d’une maladie comme l’anorexie mentale ou le cancer.

Le jeûne est souvent cité en situation de cancer. Une expertise collective du réseau National Alimentation Cancer Recherche (NACRe) n’a retrouvé aucun argument en faveur d’un rôle bénéfique sur la prévention ou le traitement des cancers et a même pointé son rôle délétère. Il n’est donc pas recommandé.


Corriger nos habitudes alimentaires au quotidien avec bon sens

Lorsque la période de jeûne permet de corriger certaines habitudes alimentaires comme de manger trop et/ou trop calorique il peut y avoir un bénéfice au travers de la perte de poids lorsque nous sommes en excès pondéral.

L’effet est le plus souvent fugace car la prise en charge de l’obésité/surpoids impose une remise en question de ses habitudes de vie au long cours et non par « à-coups ». Manger plus équilibré, c’est-à-dire moins de produits gras et sucrés et restaurer une activité régulière et adaptée sont les clefs d’un contrôle pondéral. L’effet transitoire « bénéfique » de périodes de restriction/jeûne ne fait généralement que renforcer la mésestime de soi.

La dimension « détoxifiante » du jeûne est parfois mise en avant. L’effet escompté correspond plus à une représentation mentale de purification « je m’exclus temporairement des toxiques qui sont néfastes et cela va me permettre d’évacuer ceux que j’ai en moi ».

Cela dépend du tissu où les toxiques/polluants sont « stockés » comme les dioxines et métaux lourds dans le tissu adipeux. Le re-largage des toxiques répond le plus souvent à modalités très éloignées des représentations que l’on a (impuretés dans une cuve qui s’évacuent avec le rinçage du contenant).

Le délai nécessaire à la mobilisation des toxiques est le plus souvent prolongé et souvent mal connu. Là encore l’attitude la plus pertinente relève plus d’un contrôle au quotidien des toxiques alimentaires et de l’amélioration globale de la qualité des aliments.

L’alimentation reste une dimension extrêmement investie de notre vie et de notre relation aux autres. Bon sens et écoute mutuelle sont indispensables pour aborder sereinement ce qui fonde nos habitudes alimentaires. Le jeûne prolongé est déconseillé car il met notre organisme à rude épreuve.

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Article initialement publié sur le site The Conversation France