Homme et, qui plus est, désormais âgé de plus de cinquante ans, j’ai eu énormément de mal à faire le pas de consulter.

Ce que je vis depuis plus de 30 ans et qui n’a fait qu’empirer avec le temps, je lui ai donné tellement d’autres noms :

  • « régimes »,
  • « pas faim »,
  • « problèmes de poids »,
  • « grosse fatigue »,
  • « trop de choses à faire pour partager des temps conviviaux avec les amis ou la famille »,
  • « grosse envie d’un apéro + barbecue + gros dessert + ……. ce soir »,
  • « besoin de refaire absolument les stocks il n’y a plus rien à manger »,
  • « marre de la vie », …

J’ai attendu. Beaucoup trop. Je me suis menti à moi-même autant qu’aux autres. Je me suis caché.

Pour me goinfrer, jusqu’à en tomber par terre dans ma cuisine la nuit ; pour que personne ne remarque que je ne mangeais pas le jour, parfois des jours, parfois très longtemps ; pour me peser 5 fois par jour ; pour ingurgiter des laxatifs parce que je désespérais de ne pas arriver à vomir ; pour pleurer tellement je crevais de honte et de colère envers moi-même…

Si j’ai fini par pousser la porte d’un hôpital, c’est que je ne gérais plus rien, et que de toute façon cela devenait très compliqué de cacher ce que je vivais.

Mais je l’ai fait avec beaucoup d’hésitation et de culpabilité. Car oui… Je suis un homme.

Ce genre de bête qui ne doit pas se laisser aller à s’apitoyer sur elle-même, qui doit faire preuve de force, d’une maîtrise totale de soi en toute circonstance. Et puis ces histoires de poids, d’image de soi, ce sont des préoccupations de fille, n’est-ce pas ?

On ne joue pas les divas ou les fashion victims, nous les hommes… Et la boulimie, l’anorexie, ce sont des troubles typiquement féminins, c’est bien connu, non ? …

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Foutaises ! Il y a bien des hommes qui souffrent de TCA, j’en suis un exemple (globalement) vivant qui désormais s’assume.

C’est vrai, que ce soit lors de ma première hospitalisation ou pendant mon suivi en hôpital de jour, ce sont majoritairement des femmes jeunes que j’ai rencontrées.

Mais en parlant avec elles et avec les autres (celles et ceux qui me ressemblaient plus), j’ai vite compris deux choses fondamentales qui m’ont permis d’avancer :

  • Je n’étais pas seul au monde à vivre ça comme je le croyais, et d’autres personnes partageaient mes souffrances, je pouvais en parler avec elles sans retenue, les écouter aussi, des fois en rire et ça faisait sacrément du bien !
  • Ce que nous partagions n’était affaire ni de genre ni d’âge, même si les statistiques avaient tendance à faire de moi une singularité dans les groupes de parole,
  • Ça n’a l’air de rien, mais ça m’a autorisé à accepter que j’étais malade et donc… à commencer à parler.

A celles et ceux qui me ressemblaient, mais aussi à ma femme, à mes enfants, à des thérapeutes.
A parler de ce que je ressens, de ces émotions qui déclenchent encore aujourd’hui les crises, des peurs qui m’imposent des restrictions, de mon dégoût de moi-même, de ce que je crois voir dans les yeux des gens.

De toutes ces autres addictions qui m’ont servi de « doudou » dans mon adolescence et après.

Et de plein d’autres choses, dont je sais aujourd’hui qu’elles étaient là bien avant que ne survienne la première crise, qu’elles n’étaient pas normales, et que j’avais aussi le droit de les dire.

Je ne prétendrai pas que pour moi l’hôpital ait tout réglé, loin de là. Je ne sais pas si c’est ma propre difficulté à m’assumer comme je suis qui m’a donné ce sentiment, mais j’ai souvent eu l’impression que même certains soignants avaient du mal à admettre que je puisse être homme, plus ou moins vieux et anorexique/boulimique.
J’avais l’impression de ne pas être cru, je me voyais comme un imposteur.

Et puis chacun avance à son rythme vers la rémission, le mien est terriblement lent.

Et la sortie brutale d’un cadre de soins sans perspective de suivi est parfois très difficile à vivre. Je navigue entre progrès et rechutes, rien ne dit que je ne retournerai pas en clinique dans les mois ou années à venir après avoir passé quelques semaines sans manger ou sans dormir (ça a encore été le cas l’année dernière : quatre mois d’hospitalisation après une interruption totale de mon alimentation pendant 15 jours).

Mais au moins je sais : que ce n’est pas honteux, que c’est juste une maladie, qu’elle a un nom et que j’ai le droit d’en souffrir.

Que mon désir de tout maîtriser n’est pas une caractéristique de ma masculinité mais un symptôme d’une pathologie.

Et qu’il y a des lieux adaptés pour comprendre ce qui nous arrive et se sentir aidé, des médicaments « béquilles », des psychothérapies efficaces.

Alors messieurs, si vous vous reconnaissez un peu dans ce que je décris en haut de ce billet, si vous ne savez plus vraiment dire quand vous avez faim ou êtes rassasiés, si vous multipliez ce que vous appelez des « régimes yo-yo » mais passez surtout votre temps à angoisser sur votre image et l’impact que pourrait avoir tout ce que vous vous mettez dans la bouche… Peut-être est-il aussi temps de vous en ouvrir, à vos proches, à un médecin, à un psychiatre d’un service spécialisé.

N’attendez pas !

Car s’il y a bien une autre chose dont je suis désormais certain… C’est que je ne suis pas non plus le seul homme à connaître ça !