Me peser était une part tellement importante de mon besoin de contrôle.

Plus mes crises étaient importantes plus je devais me peser. Plusieurs fois par jour, tous les jours.

Le matin, à jeun, comme c’est préconisé dans les magazines féminins bien-pensants.

Après chaque repas.

Avant les crises, pendant les crises, après les crises.

Après avoir fait pipi.

Après le sport.

Habillée, en culotte, à poil.

100 exemples de repas complets pour retrouver des repères et reprendre goût à l’alimentation

Ça ne servait à rien. C’était comme brasser de l’air, brasser du vide frénétiquement, et je le savais.

Je savais que ce « poids » en moins dont je me défaisais étais surtout fait d’eau. C’est le comble du ridicule mais pendant longtemps j’ai eu une peur irrationnelle de boire quoi que ce soit, par crainte de voir mon poids augmenter, par peur de me voir enfler. Rassurée mais déshydratée.
 
 J’y pensais tout le temps à ce nombre sur la balance. C’était lui qui déterminait mon humeur et mon bien-être de la journée, dès le moment du lever.

J’y pensais avant de manger, en mangeant, j’anticipais.

Un premier pied, suivi du deuxième encore plus prudent. Se pencher un peu pour faire hésiter les chiffres.

J’y pensais le soir dans mon lit. Il augmentait ma honte, il alimentait ma détresse.

Quand je suis partie de chez mes parents je me suis retrouvée sans balance. Et j’ai paniqué.
 Je ne peux pas. Il faut que je sache. J’ai trouvé un moyen de me peser, et j’ai repris mes habitudes, pendant quelques mois encore.

Un matin je me suis réveillée auprès d’un garçon, un garçon qui me plaisait.

J’étais tellement intimidée que je n’ai pas pensé à me peser au réveil. Une fois seule j’ai réalisé mon « oubli ». J’avais négligé mon auto-surveillance rapprochée. Pendant quelques heures je n’avais pas pensé à mon poids, je l’avais relégué dans un coin.

En me pesant ça ne m’a pas procuré le même sentiment que d’habitude. Parce que finalement, elle n’a jamais été si rassurante cette pesée.

Elle me faisait peur. Elle me tenait en haleine. Elle me faisait pleurer. Elle occupait trop de place, là-haut dans la tête. De la place qui pouvait servir à autre chose.

J’ai fini par la jeter.

Bien au milieu des poubelles, je ne voulais pas être tentée d’aller la récupérer.

Perdre ce faux repère que je m’étais créé. J’abattais de force une défense de la maladie et elle n’aimait pas trop trop ça.

Parfois mon angoisse me réveillait au milieu de la nuit, je devais me voir, je scrutais mon reflet en me contorsionnant pour entrapercevoir mon gain de poids supposé.

Et puis petit à petit, avec du temps et de la douceur, elle s’en est allée.

Ça a complètement ébranlé ma zone de confort, mon paramètre de sécurité.
 Une zone de confort pleine d’épines, si étroite qu’elle vous compresse lentement la poitrine.

En échange de quelques jours d’inconfort j’ai déposé doucement ma peur de la balance sur le côté.

Et ça m’a redonné un peu de courage pour affronter le reste.

Tu sais ce qui n’apparait pas sur ta balance?

L’authenticité, l’amour, le courage, la sensibilité, et puis toutes tes capacités, toutes ces ressources que tu ne vois peut-être pas, tous tes talents cachés —oui même ces talents inutiles mais merveilleux comme siffloter parfaitement l’air de robin des bois ou reconnaitre les voix des doublures françaises— bref toutes ces choses qui font que tu devrais te féliciter chaque jour d’être une aussi chouette personne!

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