Pendant longtemps, on a soigné les troubles alimentaires en séparant les patients de leur famille, parfois pendant de très longs mois.
Depuis quelques années, de nouvelles pratiques voient le jour, rassemblant les proches et la fratrie au cours de thérapies familiales.
En Belgique, Laure a participé à l’expérimentation d’une nouvelle forme de prise en charge, elle a accepté de nous en parler.

Bonjour Laure, peux-tu d’abord nous raconter ton parcours de soin ?

Je souffre d’anorexie mentale restrictive depuis l’été 2017, j’avais alors 15 ans.
Mes parents ont très vite réagi et j’ai été prise en charge très tôt par une psychologue pour adolescents ainsi que par une endocrinologue (particulièrement à cause de la perte de mes règles). Mon état s’aggravait, on m’a alors conseillé des rdv avec une nutritionniste. J’avais seulement 15 ans et je me rendais déjà 2x par semaine dans 2 hôpitaux différents, je ratais des cours et cela me dérangeait beaucoup.
J’ai finalement été admise en pédiatrie générale pour entamer une reprise de poids par sonde nasogastrique, sans suivi psychologique.
A la sortie de cette hospitalisation de 20 jours, j’ai été mise en contact avec le centre hospitalier psychiatrique le plus compétant concernant les troubles alimentaires (Le Domaine a Braine l’Alleud) où j’ai suivi une thérapie multi-familiale. Un an plus tard, je suis admise dans ce même centre pour une hospitalisation de 4 mois suite à une rechute.
Aujourd’hui, je suis une ado en excellente santé qui prend de plus en plus son indépendance!

Tu as participé à une nouvelle forme de thérapie familiale actuellement en test en Belgique. Peux-tu nous en dire plus ?

En effet, c’était un projet pilote dont mes parents et moi avons été les expérimentateurs.
C’est une thérapie multi-familiale, c’est-à-dire que nous étions 5 familles (les 2 parents et leur enfant en souffrance) à suivre la même thérapie en même temps, au même endroit, selon les mêmes conditions. Les patientes avaient entre 14 et 17 ans.
La thérapie se déroulait sur 15 jours complets, répartis sur 6 mois. Au début les rendez-vous se déroulaient 1x/semaine, au fur et à mesure de la thérapie les rencontres s’espaçaient.
Nous nous retrouvions le matin à 8h30, nous repartions à 16h30, on commençait la journée par une pesée suivie d’une présentation des activités et ateliers que nous allions effectuer toute la journée.
Certaines activités étaient communes à tous, d’autres se faisaient de façon séparées (patients d’un côté, parents de l’autre).
Nous avions des séances d’informations sur l’anorexie, des ateliers de résolution de problèmes liés aux symptômes, des exercices ayant pour but de dépasser nos peurs alimentaires, des exercices de sociabilisation, des ateliers thérapeutiques et des moments de détente en famille après chaque repas et chaque collation.
A la fin de chaque journée nous avions un objectif (aussi bien alimentaire que social, scolaire, ou autre) à réaliser avant la prochaine séance qui suivait et pour lequel nous faisions le point en groupe. Nous identifions si l’objectif avait été atteint ainsi que les avantages, inconvénients, aides, les ressources et moyens utilisés, émotions et manifestations physiques.

A lire :
Comment aider une personne qui souffre de troubles alimentaires ?

Quel est le rôle des parents dans cette thérapie ? Les frères et sœurs participent-ils également ?

La thérapie a pour but d’aider l’adolescent à lâcher le contrôle sur son alimentation et à confier aux parents la tâche des courses alimentaires, de la préparation des repas, …
Les parents préparaient ensemble chaque repas et collation, qui devaient être mangés à heures fixes et en quantité adaptée.
La thérapie poussait à la communication pendant, avant et après les repas.
Au final, les objectifs étaient les suivants :
  • Permettre aux parents d’exercer leurs compétences parentales dans une situation de crise et d’urgence,
  • Mettre en place une structure du repas, un contenu de l’assiette et une convivialité durant le repas,
  • Favoriser la communication familiale.
Les frères et sœurs ne participaient pas, mais une journée a été organisée au centre pour les informer sur la maladie et leur présenter la thérapie, c’était la « Journée fratrie ».

Penses-tu que tes parents te comprennent mieux suite à cette expérience ?

Oui. Dès qu’ils ont été en contact avec les professionnels de santé du Domaine, ils ont tout de suite été bien mieux informés et beaucoup plus compréhensifs. Ma maman a tout particulièrement commencé à se documenter, lire des livres, des témoignages, des reportages,…
Mon papa lui était plus inquiet pour mes conditions physiques, il se braquait là-dessus et ne s’ouvrait donc pas à l’aspect mental.
Mais grâce à l’accompagnement des spécialistes et des explications des thérapeutes, il a petit à petit compris les mécanismes de la maladie, ainsi que les peurs qu’elle impose.

Que penses-tu de l’impact de la maladie sur la famille, sur les parents, les frères et sœurs ?

Ce qui m’a beaucoup marquée, c’est le sentiment d’impuissance que la famille peut ressentir, le fait de vouloir protéger quelqu’un que l’on aime sans savoir comment s’y prendre est très frustrant.
Je m’opposais beaucoup à mes parents, qui voulaient toujours m’aider, et j’avais tendance à les fuir.
Je pense que beaucoup de personnes sont touchées, pas seulement la famille mais également les amis, les voisins, les professeurs,…
J’ai une grande sœur, avec qui j’ai toujours été fusionnelle, malheureusement la maladie m’ayant rendue irascible et l’inquiétude l’ayant gagnée, elle avait tendance à fuir la maison pour ne pas voir la dure réalité de cette maladie.
Je trouve aussi que dans un état de dénutrition, nous sommes tellement obnubilées par nos préoccupations alimentaires et corporelles que l’on ne se rend pas toujours compte de la bienveillance, la protection, la bonne intention et le soutien de notre famille.
De plus, un enfant malade inquiète les parents dont le moral change, ce qui se voit et suscite des questions et des remarques de la part des collègues, de la fratrie, des voisins,… qui se sentent eux-mêmes inquiets.
L’inquiétude est pour moi le sentiment que je sentais le plus présent et le plus palpable.

As-tu pu tisser des liens avec les autres patientes ?

Nous nous soutenions beaucoup, nous essayions toujours d’être très gentilles et encourageantes. En effet, j’avais peur qu’un esprit de compétition soit présent, que certaines patientes aient tendance à me tirer vers le bas. C’était tout le contraire, de plus nous n’avions pas le droit de parler de la maladie entre nous. Ne ne pouvions aborder le sujet que lors des ateliers, en présence des psychologues et des infirmières.
Aujourd’hui il m’arrive de prendre de leurs nouvelles, nous avions échangé nos numéros, cependant le Domaine nous a fortement déconseillé de garder contact avec les autres patientes pour des raisons valables.
En tout cas je peux vous dire qu’elles sont toutes les 4 en très bonne santé! 🙂

A lire :
Les aides indispensables à la guérison

Comment te sens-tu aujourd’hui et quelle est ta vision du chemin qu’il te reste à parcourir ?

Je me sens beaucoup plus à l’écoute et honnête avec moi-même. J’ai beaucoup appris de mes erreurs et expériences, j’ai apprivoisé les vilaines voix dans ma tête et j’arrive aujourd’hui à décider de ne pas les écouter et les empêcher de dicter ma vie. J’ai quelques faiblesses sur lesquelles je travaille, je suis toujours suivie par une psychothérapeute et je me sens chaque jour évoluer de plus en plus, j’arrive au bout du tunnel 🙂

Un dernier mot pour ceux qui te lisent ?

Essayez de toutes vos forces de faire confiance aux professionnels de santé, nos croyances sont tellement faussées par la maladie que nous ne voyons pas la réalité en face.
Croyez en vos ressources, vous êtes d’un pouvoir et d’une force illimités.
La guérison est possible et tellement belle, ne lâchez rien et prenez soin de vous, le meilleur est à venir 🙂

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