Je suis assise sur le rebord de ma fenêtre et je regarde ma vie courir, magnifique, fabuleuse, sans être capable de courir derrière elle. Parce que je me suis enfermée et que j’ai toujours cru que j’avais égaré la clef. Mais il n’y a pas de clef. Si je suis mon propre geôlier, je suis aussi celle qui saura me délivrer.

J’aimerais m’adresser à toi, qui vis la même chose que moi.

A quoi ressemble ton existence dans ta cage opaque ?

Tu fais une crise de panique trois mois avant un mariage parce que tu ne sais pas ce que tu vas porter (cette robe-ci me grossit mais avec celle-là on voit tous mes os, c’est laid) et parce que tu appréhendes le titanesque repas ou buffet qui t’attend.

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Tu gâches une jolie journée parce que la balance a osé afficher 300 grammes de plus que la veille.

Tu te désistes pour les 25 ans de ta meilleure amie parce que trop de monde, donc trop de corps, trop de bouffe et surtout trop d’imprévisible. Tu ne sais pas gérer l’imprévisible.

Tu quittes brutalement une soirée merveilleuse avec des amis tout aussi merveilleux parce que tu dois absolument te débarrasser de tout ce que tu as avalé.

Ton existence se résume en deux mots sinistres : et si ? Et s’ils me regardent de travers parce que je suis la seule à ne pas manger ? Et si je dérape ? Et s’ils me trouvent stupide, grosse, laide, insignifiante ? Et si je les déçois ? Et si et si et si.

Mais la seule personne qui te juge, c’est toi.

A chaque invitation, ton cœur hurle oui et tes lèvres disent non. Et puis tu mens, tu mens, tu mens tout le temps. Mais c’est elle qui dit non, qui ment : la vipère bien recroquevillée entre tes côtes qui se réjouit de tes échecs et te susurre à l’oreille, tous les jours, à chaque seconde, que tu n’es pas suffisamment ceci ou trop cela.

J’ai cru au départ que la vipère me rendrait plus belle, plus mince et plus intelligente. Mais j’avais 14 ans. Elle m’a rendue plus laide, squelettique jusqu’où les regards se détournent et moins performante puisque mon cerveau démissionne.

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En attendant, la vie poursuit sa course, derrière ma fenêtre, le rire multicolore et de la nacre dans les yeux.

Je l’ignorais mais le pacte est truqué dès le début.

Où sont tes rêves ? Retourne-toi. Ils sont là, assis sur le parquet, le visage dans les mains et le corps transparent tant ils se sont asséchés. Prends-les dans tes bras. Console-toi.

J’ai un rêve : devenir romancière. Et je ne laisserai jamais la vipère me le voler. J’ai compris que j’avais besoin de mon corps pour réaliser ce rêve. Un vrai corps : un corps fort ; pas ce semblant d’étoffe qui trébuche sans me prévenir et plie sous la bruine.

J’en ai marre d’admirer les réussites des autres sans parvenir à provoquer les miennes. Et loin de ce que j’ai longtemps pensé, ma maigreur n’est absolument pas une réussite : c’est un cachot, le symbole de mon incapacité à devenir celle que je suis vraiment à l’intérieur.

Si on me demande ce qui me fait le plus peur au monde, je répondrais : me réveiller un matin en ayant 55 ans et réaliser que je n’ai pas vécu. Mais c’est le chemin que je prends si je ne réagis pas très vite. Belle perspective, n’est-ce pas ?

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J’ai oublié d’avoir 17 ans et de découvrir le monde et ses possibilités infinies.

J’ai oublié d’avoir 20 ans et de sentir l’harmonie de la liberté sur le bout de mes doigts.

J’ai oublié d’avoir 30 ans et d’avoir la sensation d’être forte enfin.

J’ai préféré m’affamer, me gaver, me haïr, me vomir. J’ai trop travaillé, trop angoissé, trop détruit. Je me suis emmurée pour qu’on ne me touche pas. J’ai oublié d’aimer vraiment, de rire trop fort, de ressentir intensément. J’ai tout affadi pour me protéger. J’ai repoussé ceux que j’aimais. J’ai maigri ma jeunesse. J’ai fané mes plus belles années.

J’ai 34 ans. Ces années avortées, personne ne me les rendra : il est temps de cesser le carnage.

Mon corps ne m’a rien fait pour mériter ma haine. Il est juste là, bordant mon cœur et mon âme, pour me permettre de vivre la vie que j’aurai décidé de vivre. Mon corps ne m’a rien fait pour mériter les blessures que je lui ai infligées.

Alors je décide qu’aujourd’hui est le premier jour de ma renaissance.

Je me demande souvent ce que je ferais si le monde était démoli dans une heure, un mois, un an.

La réponse est simple : je vivrais. Je fracasserais ma balance à coups de marteau et je mangerais de la pizza et des tartes au citron, je m’arrêterais pour discuter sans peur avec les gens qui m’abordent dans la rue, j’enlacerais ceux que j’aime, je chanterais sous la pluie et je sourirais aux étoiles.

Vis comme si le monde devait s’anéantir dans une heure, un mois, un an. Sors, ris, danse, tente de nouvelles expériences même si elles te font peur – et surtout si elles te font peur. Envoie valser les habitudes qui nécrosent et les rituels qui t’abîment. Brise tes chaînes, sors de cette cage dont l’or n’est en fait que de la fausse peinture et deviens fleur, oiseau, poème. Ose ce que tu as toujours rêvé de tenter et cesse de contempler ta vie derrière une vitre. Va chercher tes risques et paillète tes jours. Mets des étoiles dans ton rire et des soleils dans ton assiette.

Et dis oui, oui, oui !

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