Par Elizabeth Henges

De manière générale, les troubles alimentaires sont relativement mal compris, et les malentendus se multiplient si vous n’avez pas “le physique de l’emploi”.

Cent-vingt-deux kilos. Je descends du pèse-personne en poussant un soupir. Quand l’aiguille de la balance ne bouge pas, même avec une alimentation saine et de l’exercice, et que mes idées noires reviennent, une petite voix intérieure me rappelle la seule façon dont je suis parvenue à perdre du poids par le passé. En m’affamant. Après tout, c’est humain de vouloir des résultats, non?

De manière générale, les troubles alimentaires sont relativement mal compris, et les malentendus se multiplient si vous n’avez pas “le physique de l’emploi”.

L’anorexie mentale est un trouble alimentaire qui se définit par une restriction excessive du nombre de calories ingérées, et parfois un excès d’exercice physique. Les personnes atteintes sont en déficit pondéral et souffrent d’une intense dysmorphophobie. Les effets à long-terme peuvent être désastreuses, à la fois sur le plan physique et au niveau psychologique.

L’anorexie atypique est similaire à l’anorexie mentale. La seule différence, c’est que le patient n’est pas en déficit pondéral. Si elle est dite “atypique”, c’est parce que les personnes qui en souffrent sont de corpulence normale ou en surpoids. Dans mon cas, par rapport à ma taille, je suis considérée comme une obèse morbide. Personne ne remarque les effets de mon anorexie atypique quand je réduis mes repas à quelques bouchées par jour. Au contraire, ils me félicitent pour ma perte de poids, qui signifie selon eux que j’ai enfin repris le contrôle de mon corps et que je suis en meilleure santé, alors que rien n’est moins vrai.

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Je n’ai jamais eu de rapport sain avec la nourriture, mais la première fois que j’ai restreint mon alimentation au point de mettre ma santé en péril, c’était pendant ma première année de fac. Ce n’est pas très surprenant, étant donné que le stress de quitter le foyer familial pour se lancer dans des études supérieures est un facteur déclencheur pour de nombreux problèmes psychologiques, y compris les troubles alimentaires. Mais mon anorexie a commencé par accident. J’étais tout simplement fauchée.

L’université où j’étais inscrite ne proposait pas de repas aux étudiants sur le campus, et mon père n’avait pas les moyens de m’envoyer de l’argent ou de la nourriture. À la fin de ma première année, je ne survivais que grâce aux repas auxquels m’invitaient parfois mes amis et ce que ma coloc’, dans la même situation que moi, pouvait récolter auprès de ses parents, un peu mieux lotis que mon père. Ça a été une période difficile et j’ai finalement dû interrompre mes études.

Mais il y avait tout de même un point positif, du moins à mes yeux: je perdais du poids.

J’en ai même perdu suffisamment pour être considérée comme “normale” pour ma taille. J’étais très satisfaite de mon apparence, mais quand j’y repense, je me rends compte à quel point j’allais mal. Je faisais un poids “normal”, certes, mais ce que je perdais, c’était de la masse musculaire, et pas du gras. Je tombais très facilement malade, et j’avais constamment des vertiges.

En fait, personne ne se préoccupe de savoir comment les personnes en surpoids s’y prennent pour maigrir, du moment qu’elles y arrivent. L’industrie des régimes, omniprésente et toujours aussi dangereuse, en témoigne, avec ses pseudo-conseils nutritionnels qui peuvent ruiner la santé des gens alors qu’ils s’efforcent d’obtenir la silhouette que notre société nous présente comme le modèle d’un corps sain. Pourtant, j’ai beau être en surpoids, je suis en parfaite santé, d’après mes analyse médicales.

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Dans notre culture, être gros est un péché capital. Rien d’étonnant à ce que je n’arrête pas de retomber dans mes travers d’anorexique, même si je sais à quelle point c’est mauvais pour moi. Ma pire rechute a eu lieu il y a cinq ans. Je traversais une passe difficile et stressais énormément, au point que j’ai arrêté de prendre de vrais repas. Je vivais de biscuits apéritifs, de boissons énergisantes et d’une aiguillette de poulet de temps en temps, quand mon estomac pouvait le supporter. Je comptais mes apports en calories sur une application qui m’avertissait quotidiennement, mais en vain, que je ne mangeais pas assez.

Personne n’a sourcillé quand j’ai perdu 18 kilos en trois mois. Au contraire, tout le monde me complimentait et m’enviait cette perte de poids spectaculaire. C’était exactement ce dont j’avais besoin pour reprendre confiance en moi, mais cela me confortais aussi dans l’idée qu’après tout devenir anorexique n’était peut-être pas si mal. J’économisais même de l’argent en mangeant moins!

Au bout de cinq mois de ce régime, je suis tombée malade. Comme mon système immunitaire était fragilisé, j’ai attrapé un mauvais virus qui traînait et je me suis retrouvée clouée au lit avec de la fièvre pendant une semaine. Toute seule dans mon appartement, en piteux état, j’ai compris que je devais commencer à prendre soin de moi. Petit à petit, je me suis mise à manger davantage, mais cela n’a pas suffi quand j’ai recommencé à faire trop de sport. Ce n’est qu’après m’être blessée au genou accidentellement que je suis devenue suffisamment sédentaire pour sortir enfin de ce cercle vicieux.

Malheureusement, dès qu’on arrête de se restreindre, on reprend du poids. C’est normal, puisque le cerveau passe généralement en mode “famine” quand il a l’impression que vous êtes en train de mourir de faim. Quand on cesse de limiter ses apports caloriques, le corps se met immédiatement à stocker un maximum de réserves d’énergie sous forme de graisse, au cas où il en serait à nouveau privé. C’est ce qui fait que les anorexiques ont tant de mal à s’en sortir. Quand vous vous êtes battue bec et ongles pour perdre du poids, le reprendre plus vite que vous ne l’aviez perdu risque de vous faire rechuter.

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Heureusement, j’ai dans ma vie des gens qui me soutiennent et ne sont pas sensibles à l’idée reçue qui veut que la perte du poids soit nécessairement une bonne chose. Pouvoir compter sur quelqu’un pour me faire remarquer que je devrais peut-être me resservir une portion, ou grignoter quelques noix de cajou pour accompagner ma boisson énergisante, a suffi pour m’aider à réaliser que je maltraitais mon corps.

Je n’ai pas eu de réelle rechute depuis, mais je suis souvent passée à deux doigts. Certains régimes stricts présentent un risque supplémentaire pour moi et même si j’ai appris à compter les calories sans tomber dans l’excès je dois être très prudente quand mon moral est au plus bas. J’ai dû apprendre à maîtriser mes pulsions, parce que je sais que personne ne croira que j’ai ce genre de problème. Même si c’était le cas, obtenir l’assurance santé nécessaire pour payer ce traitement est déjà suffisamment dur pour quelqu’un qui souffre d’anorexie mentale. Si vous vous dites anorexique sans avoir l’air de l’être, c’est quasiment mission impossible.

J’ai donc appris à faire attention à mon alimentation, et à manger le plus sainement possible. J’ai la chance de pouvoir contrôler mes symptômes sans prendre de médicaments, même si mon métabolisme est fichu. Je dois faire beaucoup d’efforts pour repousser les mauvaises pensées qui me disent que je mange trop, et arrêter de voir mon corps de façon négative. Mais quand je me rappelle que je fais tout ça pour être en bonne santé et non pour être mince, me regarder dans le miroir devient plus facile.

Cet article a été publié sur le HuffPost américain

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