Bonjour Docteur Le Gallic,

Vous êtes gynécologue, et vous avez dans votre patientèle un nombre significatif de femmes qui souffrent de troubles alimentaires.
Chez la femme, souffrir de troubles alimentaires, avec ou sans dénutrition sévère, a un impact sur la santé générale et a des répercussions fortes sur la santé gynécologique des personnes concernées.
On dit que le gynécologue est bien placé pour déceler précocement les troubles du comportement alimentaire.

Parmi votre patientèle, quelle est la proportion de patients qui selon vous souffre de troubles alimentaires ?

Je m’occupe essentiellement d’obstétrique, c’est à dire du suivi des femmes enceintes. Je rencontre donc parfois des femmes enceintes qui ont eu des problèmes alimentaires mais qui les ont surmontés. Pour les cas gynécologiques, il m’est arrivé de suivre des patientes souffrant d’anorexie.

Sont-elles conscientes de leur maladie ?

Pour ma part, j’ai toujours suivi des femmes qui en étaient conscientes. J’ai eu un seul cas d’une femme enceinte ayant manifestement des troubles alimentaires qui niait toute sorte de problème.

Quels sont les signes qui vous alertent ?

Dans la sphère gynécologique, le signe classique qui doit alerter le médecin est une aménorrhée, c’est à dire l’absence de règles pendant au moins 3 mois.
Dans la sphère obstétricale le sujet est plus complexe : il s’agit souvent de femmes ayant un faible IMC, qui manifestent un déficit d’acquisition pondérale. Leur grossesse peut se compliquer par un retard de croissance tardif, c’est à dire qui apparaît au dernier trimestre de gestation, quand les besoins nutritionnels des fœtus sont maximaux. Une anémie est souvent associée. Au premier trimestre, on peut aussi assister à des vomissements gravidiques importants qui nécessitent parfois l’hospitalisation.

Donc il vous arrive de mettre en lumière la présence d’un éventuel trouble alimentaire. Les patientes concernées sont-elles surprises ?
Dans mon expérience, souvent elles sont déjà au courant de leur problème, même si c’est difficile à admettre.

Pour quel motif vous consultent-elles en général ?
Pour une absence de règles.

On dit que de nombreuses patientes qui font des demandes de PMA ou qui s’étonnent de ne pas réussir à avoir d’enfants souffrent en fait de troubles alimentaires. Comment vivent-elles le diagnostic ? Acceptent-elles de soigner leur trouble pour accéder à leur désir de maternité ? Comment les accompagnez-vous dans ce chemin ?
Je ne m’occupe pas de PMA directement mais il m’est arrivé d’adresser des patientes ayant des troubles alimentaires dans un centre PMA. La plupart d’entre elles acceptent d’entreprendre un parcours de soin pour améliorer leurs chances de tomber enceinte.

Est-ce qu’il n’y a que l’anorexie et la dénutrition qui sont dangereuses pour la santé gynécologique des femmes ?
Non,

l’obésité également a d’importantes répercussions dans la sphère gynécologique et celle obstétricale.

Premièrement les femmes souffrant d’obésité ont un dérèglement hormonal qui peut avoir comme conséquence des cycles irréguliers (souvent très longs) ou une absence de règle.
Pour la même raison, ces femmes souffrent donc plus souvent de stérilité. L’obésité étant caractérisée par un état d’hyper-oestrogénie peut aussi augmenter le risque des pathologies de l’endomètre, comme l’hyperplasie ou la dysplasie endométriale.

Dans le cas d’une grossesse, l’obésité pose aussi beaucoup de problèmes: le risque de diabète gestationnel et de pathologies vasculaires comme l’hypertension est accru, avec toutes les conséquences sur la santé des mères et des fœtus de ces pathologies. En plus, le dépistage échographique des anomalies fœtales devient difficile pour les médecins en cas d’un IMC très élevé, avec le risque de ne pas déceler à temps des malformations fœtales.

Pouvez-vous nous parler des conséquences des troubles alimentaires d’un point de vue gynécologique ?
Premièrement,

environ 90% des femmes souffrant d’une anorexie n’ont pas de règles.

On assiste à une hypo-œstrogénie centrale, c’est à dire une carence des œstrogènes due à une baisse des hormones hypophysaires (FSH, LH) qui ne stimulent plus la fonction ovarienne, d’où l’aménorrhée. Si la carence œstrogénique est prolongée cela peut comporter une diminution de la masse osseuse qui peut amener à une ostéoporose.
Cela se produit parce que les œstrogènes jouent un rôle essentiel dans la régulation de la croissance et du remodelage osseux.
Dans le cas d’une anorexie pré-pubère, on peut assister à un retard du développement mammaire et à une aménorrhée primaire (absence de ménarche à l’âge de 16 ans).

On peut assister aussi à des problèmes de la sphère sexuelle, surtout un manque de libido et à une diminution du plaisir sexuel.
On peut aussi assister à une sècheresse vaginale, toujours liée à la carence d’œstrogènes,  qui peut être responsable de douleurs lors des rapports sexuels.

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En cas de grossesse, comme déjà évoqué, une prise de poids insuffisante est un signe d’alarme important. Ces femmes risquent une grossesse compliquée par un retard de croissance intra-utérin et par une anémie.
Il ne faut pas oublier que, après l’accouchement, les patientes ayant un TCA ont un risque accru de souffrir d’une dépression post-partum.

Lorsqu’un trouble alimentaire est décelé, quel protocole de soin mettez-vous en place ?
Je les réfère à un confrère expérimenté qui puisse mettre en place une correcte prise en charge.

Quels conseils donnez-vous à vos patientes pour les amener à se soigner ?
Dans le cadre d’une infertilité, je leur explique que la guérison de la maladie est une étape essentielle pour pouvoir concevoir un enfant.
Pour les autres femmes, j’essaye de les rassurer en expliquant que les problèmes liés à l’absence de règles sont quasi toujours réversibles une fois un IMC normal est atteint et qu’une prise en charge adéquate est d’importance capitale.

Vous arrivent-ils d’être en contact avec le reste de l’équipe thérapeutique de la patiente ? (Psychiatre, nutritionniste, généraliste) ?
Oui ça peut arriver,  pour me tenir au courant de leur prise en charge et de son évolution.

D’un point de vue gynécologique, quels sont les signes que la patiente va mieux ?
Le retour de règle est le premier signe gynécologique que la patiente va mieux, ainsi qu’une amélioration de l’IMC.

Merci Dr Le Gallic d’avoir pris le temps de nous éclairer sur l’impact des troubles alimentaires sur la santé gynécologique des femmes.

Le Dr Gallic est médecin gynécologue à Rennes.